On assiste dans nos sociétés à l’effondrement de la toute-puissance masculine. La construction culturelle du mâle dominant, d’une hiérarchie entre les deux sexes, entame une conversion relativement rapide au regard de l’Histoire. L’homme peut enfin vivre ses émotions, les montrer, même si cela est encore perçu globalement comme un signe de faiblesse.
Cette libération de la femme est ainsi quelque part celle de l’homme, bien qu’elle soit paradoxalement ressentie comme un facteur de perte d’acquis dans la gent masculine, consciemment ou non. Elle vogue au gré de la déconstruction du mythe de la virilité, nage dans les contradictions quand la femme est en quête de l’homme protecteur et courageux, et elle se heurte à de nombreux tabous. Parmi ces tabous, celui de croire que la violence à un sexe, masculin. La violence revêt bien plusieurs formes, la plus visible étant évidemment la violence physique, celle qui laisse aussi des traces ostensibles. Cette partie émergée de l’iceberg donne par conséquent un constat sans appel quand on tient l’image de tous ces hommes faisant la guerre, identifiés dans des rixes, auteurs de violences sexuelles, de crimes et de délits divers… Les hommes sont aussi les principaux « clients » des prisons… Un aspect belliqueux, reptilien, invasif et polluant l’environnement, facilement identifiable.
En face, on agite le symbole de la femme protectrice et responsable. L’image ancrée de la femme donnant la vie, nourricière, apportant ses soins, pacifiant son environnement, est pratiquement inébranlable. Nos sociétés ont peine à croire qu’une femme puisse être responsable de violences de quelque nature qu’elles soient. En effet, dans la plupart des cas, l’ex-conjointe a la garde des enfants après une séparation ; on considère que son éducation est meilleure ; elle obtient gain de cause plus souvent devant les tribunaux quoi qu’on en dise… Mais n’alourdit-on pas ainsi le poids des responsabilités quotidiennes de la femme par ces choix mêmes de lui attribuer une confiance supérieure ?
J’écrivais à l’occasion d’un billet sur la Fête des Mères : « Dans toutes les sociétés, il n’est déjà toujours pas évident d’être une femme. Par-dessus toutes ces inégalités, ces injustices, elle vous a donné la vie, elle vous a élevé, protégé comme elle l’a pu, parfois seule ou presque. Elle a pu faire des erreurs aussi… Néanmoins ne l’oubliez pas, une mère est avant tout une femme : elle a ses désirs, ses joies, ses préoccupations, ses peines, ses chagrins, son intégrité d’être humain à préserver. Autant d’aspects de la vie qu’elle a contenus pour vous, avec toutes les difficultés que cela implique. » Je n’ai aucun mot à retirer à mes propos, si ce n’est d’ajouter que l’on a là les preuves manifestes de contradictions dans notre société : prendre conscience de la difficulté d’être femme rime avec alourdir ses responsabilités, aggraver ses charges et ses malheurs quotidiens. On voudrait responsabiliser les hommes sur des actes, tout en les déresponsabilisant de leurs devoirs.
Alors, dans ce climat d’insécurité émotionnelle, il faut bien pour ces femmes que ça sorte un moment ou un autre ! Les conditions d’une société apaisée, avec des repères nets, ne sont pas réunies pour contenir les tensions ainsi cultivées. Les différentes formes de violences, les crispations et toutes les formes de souffrances contenues se libèrent sur un terrain qui leur est donc favorable. Et si la violence n’a pas de sexe, la médiatisation des violences subies par les femmes est quasi-exclusive. L’autre est beaucoup moins visible, plus pernicieuse, difficilement démontrable et pourtant… Elle peut aller jusqu’à provoquer le désespoir et la mort. Elle peut être aussi d’ordre sexuel, notamment vis-à-vis de l’enfant et l’on parle d’inceste affectif à l’égard des mères. Cette violence féminine s’oppose pour beaucoup à la force physique et s’articule sur le psychique, l’affectif, les sentiments amoureux, avec parfois l’instauration d’un véritable supplice qui durera dans le temps… Jusqu’à ce que l’homme dérape au point de commettre le geste physique, l’irréparable, l’acte non excusable et non contestable. C’est là que les lois de nos pays ont plusieurs trains de retard.
Des exemples concrets à la chaîne
J’ai constaté que plusieurs personnes ont écrit sur le sujet des violences féminines sous un angle parodique. Je ne vais pas tenter d’analyser la sempiternelle et caricaturale crise de nerf féminine ou vous parler de l’influence des cycles menstruels sur le comportement… Non, je n’en ai pas les compétences scientifiques et c’est une vision bien trop empirique n’élevant en rien le débat.
L'idée m'est venue d’écrire ce billet en assistant à une après-midi d'audiences publiques au tribunal de Vannes, il y a plusieurs mois de cela. En tant qu'observateur, j'ai vu des hommes défiler à la barre, pas toujours très conscients de l’importance de leurs comportements mais, plus encore, peu empathiques de leurs gestes envers leur ex-conjointe. Or, il y avait une autre violence en amont, celle de leur conjointe, et ce, depuis plusieurs mois. Et même si rien n'excuse le comportement de violence physique de l'homme, j'ai été sidéré du peu de cas que faisait la vice-procureure présente et en charge des dossiers au sujet de cette torture morale de la femme à l'égard de l'homme. Une pression parfois sadique, cruelle, agrémentée de chantages, de tromperies provocatrices et de jeux machiavéliques, de rivalités sexuelles exposées au grand jour, face à un conjoint ou un ex-conjoint désespéré, voire poussé à bout, et bien souvent toujours amoureux. Les comportements de la femme étant pourtant avérés, expliqués par la juge lors de la présentation des faits, la femme ne les niant point, ils sont restés quant à eux impunis. L’unique but manifesté était bel et bien de blesser au plus profond le cœur de l’homme, de manière indélébile, avant que ce dernier ne perde la maîtrise de lui-même, entrant pour certains prévenus dans un comportement irrationnel. A chaque cas relativement similaire lors de cette demi-journée d’audiences, la vice-procureure préférait requérir une "peine exemplaire" à infliger au prévenu, à titre dissuasif.
Il n’y avait donc aucune réalité juridique aux souffrances infligées à l’homme. Quand bien même ce dernier fut responsable de l’éloignement de la femme par son comportement injustifiable, il y avait bien violence dans les deux sens.
On attendrait de la justice qu'elle soit… juste ! Non, je ne vais pas leur apprendre leur métier à ces magistrats mais j'avais tout de même l'impression d'un gouffre juridique dans lequel une magistrate sortait de son rôle en cherchant des punitions unilatérales. Comme si cette dernière était investie d’une mission de vengeance supposée légitime en regard de plusieurs siècles de domination masculine. Il était d’une évidence naturelle pour cette femme vice-procureure que seule la personne de son sexe subisse et que l’homme soit l’unique bourreau. D’autant que le but de l’opération était bien de défendre l’autonomie de la plaignante face au prévenu, on aimerait un plus de discernement… En tout cas, il n'y avait rien de rassurant à mon sens dans la manière dont les affaires étaient traitées ce jour-là. La balance penchait clairement plus d'un côté que de l'autre, comme un encouragement à fermer les yeux sur les sévices féminins.
Enfin, l’autre paradoxe crevant les yeux en général est le choix des plaignantes d’avoir voulu partager leur vie avec des hommes montrant tous les stéréotypes de la virilité, jusqu’au « mauvais garçon », le fameux « bad boy », dont elles auraient obtenu miraculeusement l’exclusivité de son côté affable. Parenthèse amusante, si ce n’en était les conséquences, qui n’a pas croisé cette féministe militante vous présentant un jour son nouveau copain à la posture radicalement opposée aux fondements mêmes du féminisme ? Le genre de gars en qui notre psychisme masculin intérieur indique en un instant qu’il ne tardera pas à faire vaciller toutes les illusions de la prétendante à une longue relation… par un vif « tartage de gueule » ! A l’inverse, on peut parfois se demander si certaines ne cherchent pas ensuite à déverser leur désir de régler des comptes sur les plus inoffensifs des hommes, comme s’il s’agissait d’une sorte de récréation bien égoïste, anéantissant celui qui la subit. En somme, une réponse violente en différé, brève par un « largage » rapide, et transposée en quelques sortes.
L’émancipation de la femme est plus rapide que l’évolution de nos repères sociétaux, générant des incertitudes, des contradictions et des lacunes dans les lois. Les femmes ne s’embourbent-elles pas elles-mêmes dans le chemin à suivre ? A l’heure où la majorité des séparations seraient aujourd’hui le choix des femmes, certaines notions juridiques seraient à revoir au regard des faits imputés à ces séparations. Peut-être faut-il tout simplement réapprendre à aimer ? D’autant que la société de consommation, du tout jetable, n’éclaire pas forcément bien les esprits.
Bertrand Deléon.